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JF Delfraissy adonné une ITW au journal italien La Repubblica au cours de laquelle il a été particulièrement transparent sur le passé, le présent et l’avenir :
https://www.repubblica.it/cronaca/2…
Traduction de l’interview ci-dessous
[Coronavirus, le scientifique qui conseille Macron : « Nous aussi nous nous dirigeons vers la phase 2 mais les personnes immunisées sont trop peu nombreuses. Risque de récidive ».
Jean-François Delfraissy, l’équivalent transalpin de Brusaferro, est convaincu que nous pourrions disposer d’un vaccin dans l’année. « La France et l’Italie coordonnent leurs stratégies pour savoir quand et comment sortir du confinement ».
par notre correspondant ANAIS GINORI
12 avril 2020
PARIS - La France a également commencé à réfléchir à la phase 2. Et un avis qui compte, c’est bien celui de Jean-François Delfraissy. L’immunologiste français dirige le comité scientifique qui conseille Emmanuel Macron dans la crise sanitaire. Delfraissy, 71 ans, était une sommité de la recherche sur le sida, en première ligne contre le virus Ebola. Son groupe de « sages » comprend également un anthropologue et un sociologue. « Il est important d’avoir une approche pluridisciplinaire et d’évaluer des paramètres qui ne sont pas seulement scientifiques », explique M. Delfraissy. « Je sais par expérience que toute crise sanitaire comporte le risque d’une crise politique et sociale ». L’immunologiste explique à Repubblica quelles sont ses recommandations pour lever le confinement qui a débuté le 17 mars. Avec un souhait : « La France et l’Italie doivent s’entendre sur une série de mesures communes à ce stade très délicat. C’est l’une des clés du succès ».
Pourtant, le gouvernement français a longtemps hésité avant de suivre l’Italie dans le choix du confinement. Y avait-il un sentiment de supériorité ?
« Je ne me suis jamais senti supérieur à mes collègues italiens, je n’ai pas de leçons à leur donner, au contraire je dois en recevoir. Personnellement, je me suis rendu compte de l’extrême gravité de l’épidémie simplement en voyant la situation en Lombardie où il existe un excellent niveau médical et scientifique. J’ai tout de suite compris que la France connaîtrait le même sort. Et en fait, lorsque notre commission a pris ses fonctions le 10 mars, j’ai immédiatement dit à Macron que la seule façon d’avancer était le confinement ».
Le gouvernement a-t-il envisagé d’autres options ?
« Je n’entre pas dans le débat politique. Je peux dire que mon opinion était plutôt tranchée. Et je n’en suis pas fier parce que je sais quel sacrifice a été imposé au peuple. Si nous avions eu une capacité quotidienne de 100 000 tests, j’aurais pu suggérer que nous agissions différemment. Tel n’était pas le cas. Le 10 mars, la capacité de la France était de 3 000 tests par jour. Le confinement n’était pas la meilleure solution. C’était le moins pire ».
Le nombre de tests effectués en Allemagne a-t-il fait une différence ?
« Effectivement, et c’est tant mieux pour les Allemands. Aujourd’hui, la capacité de test quotidienne de la France est passée à 30 000 par jour. L’objectif est d’atteindre 100 000 d’ici la fin du mois. La pénurie initiale a dicté le choix du confinement et pèse encore sur sa durée ».
Votre recommandation était de confiner le pays jusqu’à la fin du mois d’avril. Cela va-t-il aller plus loin ?
"Nous ne parlerons des dates que lorsque nous aurons les outils pour faire face à l’augmentation de la contagion et du nombre de malades qui repartiront dès que le confinement se relâchera.
Il n’y a aucun doute : l’épidémie va reprendre. Et nous devrons être prêts, contrairement à ce qui s’est passé la première fois".
On parle de deconfinement par région, par âge, par profession… Quel est le plan ?
« C’est le débat en cours entre notre commission, le gouvernement et l’Élysée. Je peux seulement vous dire que nous n’allons pas passer du noir au blanc. Il y aura des nuances de gris. Nous avons pris en compte les personnes les plus à risque, notamment les personnes âgées, les patients cardiaques, les obèses et autres malades. Cela représente 17 millions de Français. Ce chiffre vous fait déjà comprendre la complexité de la situation ».
Commençons-nous à savoir combien de Français sont immunisés ?
« Nous avons les premières études sérologiques et elles ne sont malheureusement pas encourageantes. Dans les zones les plus touchées par l’épidémie, nous constatons que l’immunité est d’environ 10 %. D’après ce que je sais, c’est la même chose en Lombardie. C’est beaucoup moins que ce que nous attendions et espérions. Nous sommes loin de l’immunité naturelle de la population. Mais il y a un autre problème ».
Quel est-il ?
« Ce virus est très particulier. Nous avons constaté que la durée de vie des anticorps protégeant contre le Covid-19 est très courte. Et nous voyons de plus en plus de cas de récidives chez des personnes qui ont déjà eu une première infection ».
Personne n’est donc vraiment protégé contre le coronavirus, même pas ceux qui sont déjà tombés malades ?
« Il semble bien. C’est pourquoi notre comité ne recommande plus un carnet d’immunisation, une sorte de laissez-passer pour les personnes ayant eu une première infection ».
Quand la France sera-t-elle prête pour la phase 2 ?
« Il y a deux indicateurs à suivre. Lorsque les soins intensifs ne seront plus sous pression, le personnel médical sera à bout de souffle. Et lorsque nous aurons la possibilité de faire des tests en masse, d’isoler les positifs et de les suivre. Une prévision, purement théorique, se situe entre le début et la mi-mai ».
Votre modèle est-il celui de la Corée ?
« Oui, mais la Corée du Sud ne s’est pas contentée de faire du repérage de téléphones portables. Elle a également mobilisé 20 000 personnes qui ont enquêté et brisé les chaînes de transmission. L’innovation technologique doit s’accompagner d’un effort humain ».
Des réserves sur le suivi, la surveillance électronique ?
« Seulement temporairement, sur une base volontaire et dans le cadre de règles strictes. La France travaille avec l’Allemagne sur une application. L’idéal serait d’étendre la collaboration à d’autres pays comme l’Italie ».
La France et l’Italie peuvent-elles faire des choix différents sur le calendrier et les modalités de la phase 2 ?
« Ce serait un désastre. Je le dis non seulement au niveau de la santé, mais aussi pour éviter une crise sociale et politique plus grave. Si nous sommes coordonnés, il sera beaucoup plus facile de faire accepter des mesures telles que le suivi ou l’isolement des patients positifs dans des établissements ad hoc. Nos citoyens observent ce qui se passe dans les pays voisins. Ils ne comprendraient pas des mesures contradictoires. De plus, une certaine uniformité est indispensable pour recommencer à voyager, pour laisser les frontières ouvertes ».
Pensez-vous qu’au niveau européen, la priorité a été donnée à la riposte économique ?
« Malheureusement, c’est ainsi et nous en subissons tous les conséquences. Il y a quelques jours encore, les pays européens se disputaient entre eux pour des masques en Chine. Nous avons décidé du confinement sans coordination entre les pays européens. Il est maintenant essentiel de ne pas répéter la même erreur. C’est le sens de mon appel à l’Italie mais aussi aux autres pays du noyau fondateur de l’Europe ».
En parlant de masques, pourquoi le gouvernement français ne recommande-t-il toujours pas leur port ?
« L’Oms et le gouvernement ont eu du mal à admettre la vérité, à savoir qu’il n’y avait pas assez de masques pour tout le monde. Je suis convaincu que les masques sont l’un des outils essentiels pour sortir du confinement ».
Doivent-ils être obligatoires ?
« Tout Français devrait en avoir et en porter s’il le souhaite. Ce n’est pas le cas aujourd’hui ».
Même en France, il existe une controverse vis à vis des joggers ou des personnes qui enfreignent les règles. Qu’en pensez-vous ?
"Le confinement est respecté par la grande majorité des Français. Je vois aussi que ce n’est pas à 100%, mais rappelons-nous que c’est un équilibre délicat. La France n’est pas la Chine, et je répète que les crises sanitaires comportent toujours un risque politique et social qu’il ne faut pas sous-estimer.
Le confinement a-t-il donné les résultats épidémiologiques que vous attendiez ?
« Nous sommes dans les temps. Début mars, le taux de R0 était de 3,5, aujourd’hui il est tombé à environ 1 et nous pensons que nous allons encore baisser entre 0,7 et 0,8 début mai, lorsque nous pourrons commencer à parler de la fin du confinement. Mais seulement si nous sommes également prêts pour les tests, le tracking digital et humain, l’isolement des patients, les masques ».
L’été nous aidera-t-il ?
« Toutes les pandémies du siècle dernier se sont atténuées pendant la saison estivale. Cette fois, nous constatons que le virus se propage même dans les zones chaudes. Soyons donc prudents. L’autre chose que nous voyons dans l’histoire des épidémies est que nous devons nous préparer à un rebond du virus à l’automne ».
Faut-il s’attendre uniquement à de mauvaises surprises ?
« Je suis optimiste par nature. Je pense qu’en fin de compte, l’intelligence humaine l’emportera sur le virus. Et quand je parle d’intelligence, je ne parle pas de nous, les experts ou les politiques, mais des citoyens qui doivent relever ce défi, et ils commencent déjà à le faire. Pendant la crise du sida, il y a eu 45 millions de morts, mais nous avons réussi à y apporter une réponse dans les pays développés et dans les pays du Sud. Cela étant dit, il y a de bonnes nouvelles ».
Pardon ?
« Le virus n’a subi que des mutations mineures au cours des quatre derniers mois. Il est assez stable. »Et cela aide dans la course au vaccin, dont la rapidité est sans précédent. Je suis convaincu qu’il y aura un premier vaccin d’ici la fin de l’année. Et en attendant, peut-être y aura-t-il des nouvelles positives sur les thérapies et, espérons-le, sur les formes de prophylaxie".