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Des greffons aux problèmes d’oxygénation dans le patient COVID‑19 par le Pr Lantieri

11 mai 2020 - Mots-clés : covid traitement  

AMR-TIMES Nouvelle édition AMR & COVID-19

Mai 2020
Une découverte majeure, COMME LA PENICILLINE EN 1943 ?
Des greffons aux problèmes d’oxygénation dans le patient COVID‑19

Entretien avec le Pr Laurent LANTIERI, Chirurgien plasticien, connu mondialement pour avoir réussi la première greffe totale de visage au monde.

Interview, rev. le 4 mai, par Arno Germond and Garance Upham, AMR Think-Do-Tank, la Genève Internationale

Question : Bonjour, vous êtes un spécialiste des greffes, comment pensez-vous contribuer à soigner le patient COVID‑19 ?

Professeur Laurent Lantieri :
Je suis chirurgien plasticien, donc aux antipodes du problème des maladies infectieuses et du COVID‑19, donc si il y a quelqu’un dont on a pas besoin dans cette crise, c’est bien un chirurgien plasticien qui fait des greffes de mains ou de visage.
C’est très loin de ce dont on a besoin, mais j’ai utilisé, lors de ma pratique clinique, une molécule, le HEMO2life, qui est un transporteur d’oxygène, issu de la biologie marine et qui est considéré comme « un dispositif médical », et pas comme un médicament – en tout cas dans les normes européennes – car on ne sait pas ce que sera l’attitude de la FDA (Food & Drug Administration, USA) à l’égard de ce produit.

Il s’agit d’un travail de recherche de Franck Zal ancien chercheur en biologie marine au CNRS, qui, après 20 ans de travaux, est arrivé à maturité puisqu’après de nombreux essais précliniques dans des modèles in vitro et in vivo chez l’animal il a été utilisé dans la transplantation rénale, afin de prolonger la vie du greffon. Moi-même je l’ai utilisé dans une transplantation de la face, en situation difficile, complexe, car c’était un patient qui était en situation de rejet et cette molécule a permis une meilleure conservation du greffon, et lui a probablement sauvé la vie.
Et cette molécule pourrait être particulièrement pertinente dans le traitement du malade COVID‑19.

Question : Comment ce transporteur d’oxygène pourrait-il être utile ?

Laurent Lantieri :
Etant donné, chez les patients COVID‑19, l’apparition de ces taux de désaturation, confirmés par la suite dans de nombreuses publications montrant des problèmes de coagulation et d’hypoxémie (diminution du taux d’oxygène dans le sang), indiquant que les problèmes ne sont pas seulement ceux d’un manque de respirateurs, il serait judicieux, nous avons pensé, de tenter de soigner la pathologie vasculaire.
D’où l’idée : est-ce qu’on ne pourrait pas monter un protocole pour faire un essai clinique avec cette molécule en l’injectant chez les patients les plus gravement atteints qui, malgré une bonne prise en charge, ont une hypoxémie sévère ?

Notre idée a provoqué un certain étonnement dans le milieu médical. Les réanimateurs ne connaissaient pas cette molécule puisqu’elle n’a été utilisée que pour la transplantation, puis il y a eu un vaste intérêt, on a donc préparé un protocole de recherche. Ce protocole, malheureusement, est toujours suspendu, à l’heure actuelle, pour des raisons plus politiques que réelles, l’Agence Nationale de Sécurité du Medicament (ANSM) ayant eu des dernières demandes, maintenant satisfaites.
Quand on voit le nombre de morts par jour, il me semble judicieux d’explorer toutes les pistes !

Je crois que malheureusement, l’excès de confiance, avec ce qui s’est passé par exemple à Marseille avec l’hydroxychloroquine, le protocole du professeur Raoult, a finalement ralenti la possibilité de proposer d’autres projets hors normes, et tout ce qui n’est pas dans le ’standard’ of care, la pratique habituelle de soins comme les antiviraux, quelque chose de bien codifié. L’attitude de Raoult a probablement été bénéfique dans le sens où elle a permis de regarder autre chose que le storytelling habituel que seules de nouvelles molécules onéreuses auraient une place, mais n’a pas fait que du bien, car cela a ralenti d’autres projets innovants, comme le nôtre malheureusement.

Question : Votre approche sort des sentiers battus, mais vous avez rencontré un grand intérêt parmi certains médecins réanimateurs en première lign ?

Laurent Lantieri :
Effectivement, nous travaillons actuellement avec une équipe de Strasbourg, pour monter un protocole afin de relancer ce projet ralenti par les circonstances.
Comme réanimateur à Strasbourg, le Professeur Francis Schneider a traité plus de 120 patients, donc il a une vision très personnelle et très fine de la physiopathologie de ce virus et selon lui, l’atteinte intravasculaire est profonde chez ces patients. Aujourd’hui on entend beaucoup les infectiologues, mais là c’est la vision du réanimateur, il voit plus loin que notre projet initial.

La maladie n’est pas qu’une maladie respiratoire, il y a les problèmes de coagulation, de micro-thrombose, d’oxygénation. C’est ce qui a été rapporté par l’équipe Italienne du professeur Luciano Gattinoni, (MD, Université Médicale de Göttingen, en Allemagne), c’est le grand spécialiste milanais du Syndrome de Détresse Respiratoire Aiguë, (SDRA), et il a bien noté dans un article que les malades n’étaient pas tout à fait ces cas habituels décrits dans le SDRA or c’est lui le spécialiste européen de ce syndrome.

Question : En plus de la presse scientifique, le Washington Post, Bloomberg, ont publié sur les aspects inhabituels du COVID‑19 : de jeunes adultes mourrant de crises cardiaques, et ce phénomène de coagulation, et la semaine dernière, la mortalité très élevée des patients mis sous respirateurs : 88% de morts !

Laurent Lantieri :
Oui ! En Chine la mortalité est de 40 à 50%, en Italie environ la même chose, et en France environ 40%.
Cette mortalité très élevée dans le syndrome SDRA, même parmi de jeunes patients, est rare. Alors les gens se posent des questions, comment ce fait-il que la mortalité atteigne 88% aux US ?
Aux USA, il y a des niveaux de co-morbidités très élevés comme l’obésité, ce qui pose deux difficultés dans les cas de SDRA sévères : le patient qui est obèse doit être mis sur le ventre pour maximiser le fonctionnement des poumons. Et là il faut 4 à 5 soignants pour le faire et l’intuber, et parfois c’est impossible ! Ensuite l’autre difficulté rapportée dans la presse scientifique : la désaturation du sang va plus vite chez ces patients là. Alors ceux-ci sont plus vulnérables.

Question : Le virus induisant la formation de mini-caillots pourrait-il être à l’origine de l’insuffisance respiratoire ?

Laurent Lantieri :
Il y a beaucoup d’hypothèses. Au début la première hypothèse a été que c’était uniquement un problème ventilatoire, et un problème standard de SDRA aiguë, le virus se fixant sur les cellules humaines à travers le récepteur ACE2 (enzyme de conversion de l’angiotensine II), et ces récepteurs sont très nombreux dans les capillaires au niveau des alvéoles pulmonaires. et puis on a vu ces patients qui désaturaient violemment et donc on a pensé à une micro-thrombose.
Mes collègues de l’Hôpital Européen Georges Pompidou, ont trouvé que que beaucoup de cellules endothéliales sont relarguées dans le sang, ce qui démontre une atteinte de l’endothélium. Ils n’ont pas pu le publier pour des raisons politiques et une autre équipe a publié les mêmes résultats dans The Lancet.
Donc le COVID‑19 n’est pas seulement une maladie pulmonaire, toute lésion de l’endothélium peut provoquer une coagulation.
Ce qui est un peu plus hypothétique, par contre, c’est de savoir si le virus induit d’autres dommages ?

Il y a eu une publication théorique sur la capacité qu’aurait le virus d’entrer dans le globule rouge, ce qui est possible car il a des récepteurs ACE2, mais le virus ne peut pas s’y reproduire, car le globule rouge n’a pas de noyau. Mais, je le dis au conditionnel : il pourrait se fixer sur l’hémoglobine et ce serait une explication de la dissociation entre clinique et fonction : car il y a des patients qui vont bien avec des troubles dans le test d’oxygénation, ce qu’on appelle le « happy hypoxemia » comme s’ils étaient au sommet d’une montagne.

Serait-ce dû au fait que l’hémoglobine serait altérée, comme dans l’asphyxie au monoxyde de carbone, le fer libéré par l’hémoglobine altérée serait toxique pour les vaisseaux ? Mais là on est dans le théorique.

« plus nous progressons dans la compréhension de la maladie plus on voit que ce n’est pas simplement une maladie localisée aux poumons. La gravité de la maladie est liée au fait que le virus affecte la fonction vasculaire. »

Ce qui est certain c’est que plus nous progressons dans la compréhension de la maladie plus on voit que ce n’est pas simplement une maladie localisée aux poumons. La gravité de la maladie est liée au fait que le virus affecte la fonction vasculaire.

Question : Votre point de vue vient de votre intérêt pour la microcirculation ?

Laurent Lantieri :
Pourquoi est-ce que je m’y intéresse en tant que chirurgien plasticien ?
Parce que la microcirculation : c’est ma spécialité de tous les jours, c’est mon travail dans les greffes. Je fais aussi de la recherche en laboratoire, en collaboration avec Harvard. Comment se comportent les tissus une fois mis en ischémie, et reperfusés, c’est à dire quand il n’y a plus eu d’apport d’oxygène et que nous les avons remis en contact avec la circulation ? Comment se passe la microcirculation à l’intérieur ? Comment perfuser des tissus ? C’est vraiment mon métier.
La microcirculation cutanée et sous cutanée, c’est la spécialité des chirurgiens plasticiens, nous qui faisons des re-implantation de doigts et ce genre de greffes, nous connaissons bien la question.

Question : Vous avez vraiment un point de vu privilégié sur la question ! Or dans une nouvelle situation épidémiologique, il est important d’explorer et sortir des sentiers battus.

Laurent Lantieri :
Il le faut dans ce combat. Il y a des gens qui pensent tout savoir de A à Z et généralement ils se trompent. C’est une pathologie très très nouvelle et parmi les experts, les meilleurs ont trois mois de connaissances.
La France reste un pays où l’innovation est écrasée par la bureaucratie, et là elle est un peu ébranlée, fissurée, par exemple l’utilisation d’imprimantes 3D pour fabriquer des respirateurs, l’utilisation détournée de masques qui au départ étaient faits pour la plongée sous marine, particulièrement efficaces, mais dans d’autres circonstances elle aurait été interdite, car il ne s’agit pas d’un « dispositif médical. »

Un homme génial !

Je pense que Zal est un génie, et on n’a pas encore découvert toutes les possibilités de sa molécule, il a quelque chose d’aussi important que la pénicilline en 1943 !
Franck Zal est un biologiste marin qui a travaillé pendant des années sur les vers marins qu’on trouve en Bretagne, ces vers captent l’oxygène à marée haute, dans l’eau, et vivent sur leur oxygène à marée basse, ils existent depuis 450 millions d’années. Ils ont cette particularité d’avoir un système circulatoire et à l’intérieur ils n’ont pas de globules rouges, contrairement à d’autres animaux marins, ils ont une hémoglobine circulante qui est une molécule beaucoup plus grosse que notre hémoglobine qui capte 40 fois plus d’oxygène que la nôtre (160 molécules au lieu de 4) et qui, en plus, a un gradient particulier, qui capte l’oxygène et le relargue en ischémie, donc quand il n’y a plus d’oxygène. Ils stockent l’oxygène avec cette molécule. Alors, au début, c’était artisanale, l’équipe de Zal piquait le ver avec une petite aiguille dans une veine centrale, si loin de l’humain.
Donc Zal l’a extraite, il l’a congelée, et d’artisanal, il en a fait un produit qui est GMP, arrivé à maturité, il a un stock pour utilisation pour des greffes, c’est 20 ans de travail pour lui.
Alors c’est tellement DISRUPTIF qu’on a du mal à faire admettre ça, car c’est totalement différent, on va l’injecter chez quelqu’un et ce faisant on va améliorer son oxygénation !

C’est totalement disruptif car, jusqu’à présent, vous n’avez pas d’autres moyens de changer l’oxygène dans les tissus, qu’en modifiant la ventilation, et là l’idée c’est de modifier le transport en oxygène.

C’est totalement disruptif car jusqu’à présent, vous n’avez pas d’autres moyens de changer l’oxygène dans les tissus, qu’en modifiant la ventilation, et là l’idée c’est de modifier le transport en oxygène.
Donc ça n’a jamais été fait c’est pour cela que c’est si difficile à accepter alors que toutes les autres approches ont été tentées : les antiviraux, les antibiotiques, même l’utilisation de la chloroquine, c’est déjà connu. Tout a déjà été fait mais cela c’est très différent. Et c’est pour cela que c’est si difficile, une montagne à déplacer pour faire accepter ce principe-là !

Question : L’APHP a bloqué cette initiative pour un essai clinique avec des hôpitaux parisiens ?

Laurent Lantieri :
Le projet n’avançait pas car l’APHP voulait que Franck Zal signe un contrat qui avait deux volets : pour accéder aux données il faudrait payer. Or on proposait OPEN SOURCE, comme le virologue allemand qui a donné ses droits aux tests, car on en a tellement besoin !
Et Franck Zal était d’accord, Open Source, de toute façon la molécule est brevetée.
Non, l’APHP voulait faire payer. C’était la première partie difficile du contrat, et pour l’autre partie, l’APHP voulait un droit de veto sur tout changement dans la gestion de sa société, Hemarina.
Et c’est pour ça que le contrat n’avançait pas. Ils ont trouvé le prétexte pour arrêter l’essai de façon assez violente, par voie de presse.
Dans la recherche on a des produits divers dit « produits de développement » qui marchent ou ne marchent pas jusqu’à arracher une GMP.
Il n’y a jamais eu de problèmes avec les GMP d’Hemarina. Le produit est optimal pour les greffes.

Donc on continue de répondre sur de multiples questions à l’ANSM : sur l’immunologie, les problèmes de sécurité pour pouvoir faire repartir le projet. Sachant que c’est tellement disruptif, on comprend qu’une agence de sécurité veuille avoir toutes les garanties pour un produit injectable à l’homme.
Il y a quelques jours l’ANSM nous a envoyé un courrier très rassurant expliquant que les données fournies ne changeaient pas leur évaluation initiale positive du projet et que si l’APHP ne s’était pas retirée nous aurions pu continuer. Nous allons donc aller de l’avant avec d’autres partenaires.

Question : Avez-vous envisagé des essais hors de France ? Y-a-t-il assez de produit ?

Laurent Lantieri :
Oui il y a des quantités suffisantes, car un nouvel essai portant sur la greffe de rein pour résoudre les problèmes médicaux économiques était prévu sur 600 patients.
L’Inde était très intéressée à avoir ces produits pour les transplantations, j’ai des contacts internationaux qui voulaient ces produits pour les greffes de mains et du visage et les transplantations de reins et de foies, et des négociations sont en cours.
Donc environ 15 000 doses pour 5 000 patients. Produire plus ? Il faut voir ce qu’on peut faire avec la ferme des vers mais en tout cas ce serait plus facile que produire des anticorps humanisés anti Interleukine 6 qui sont extrêmement complexes à produire ou même du plasma de patients immunisés et je vois pas comment nous allons, en France, réussir à le faire avec les dizaines de milliers de patients hospitalisés en état grave.

Question : Est ce qu’une production massive serait envisageable, accessible pour les pays en développement ?

Laurent Lantieri :
La ferme marine de Noirmoutier, normée, ISO, produit des vers, et donc une production de masse serait possible, ce qui n’est pas le cas pour tout ce qui concerne les nouvelles technologies médicales qui sont extrêmement complexes, donc très onéreuses à mettre en place.
En fait c’est plus que de l’hémoglobine de vers marins, car quand vous avez de l’hémoglobine d’un mammifère, qui est dans un globule rouge, il faut aussi d’autres facteurs pour faire fonctionner l’hémoglobine.
La superoxide dismutase, et d’autres cofacteurs, or la molécule de vers marin est comme un mini globule rouge, contenant tous ces facteurs, et elle est aussi 250 fois plus petite qu’un globule rouge chez l’homme donc elle peut aller beaucoup plus loin et diffuser plus facilement.

“je pense qu’il s’agit d’une découverte aussi importante que la pénicilline !”

Question : Quelles sont les particularité de cette molécule oxygénante ?

Laurent Lantieri :
Je suis convaincu que cette découverte est aussi importante que la pénicilline.
On a toujours appris que toute protéine est immunogène, celle-là ne l’est pas.

La raison en est que en fait la conformation de l’hémoglobine en tant que telle est quelque chose qu’on retrouve dans toutes les espèces animales, c’est très conservé à travers le règne animal, et il y a des hémoglobines qui sont immunogènes parce qu’elles ont des radicaux glycosylés et celle-là elle n’en a pas.

J’ai posé la question à Franck : Est ce qu’il y a d’autres vers marins ? Oui, m’a-t-il répondu, il y a trois autres vers marins qui, potentiellement, peuvent avoir les mêmes activités mais la plupart ont des récepteurs glycosylés qui font qu’ils deviennent immunogènes et celui-là n’en a pas.
Donc effectivement c’est très conservé dans tout le règne animal et végétal d’ailleurs ça remonte à extrêmement loin dans la vie sur terre puisque pour la création de la vie il faut transporter oxygène depuis la plante jusqu’à nous ! Mais c’est très difficile conceptuellement de faire comprendre ça à mes collègues médecins. On a tous appris que chaque fois qu’on injecte une protéine quelque part, on a des anticorps.

On a autant de difficultés à convaincre qu’en son temps Helicobacter pylori était la source des ulcères digestifs. Hors de la pensée commune, totalement différent.
Vous savez dans le monde pour qu’une nouvelle idée perce, il faut qu’il ait de plus en plus de gens qui la connaissent parce que bien-sûr, aujourd’hui il y a ceux qui y croient et ceux qui doutent, mais plus les gens approchent la molécule et comprennent ses possibilités, voient les travaux accomplis jusqu’à présent, et plus ils sont convaincus…

Il faut atteindre une masse critique de gens qui soient au courant pour que ça se fasse !

Question : Et cette approche serait intéressante pour d’autres pathologies du sang, la drépanocytose ?

Laurent Lantieri :
Oui, avant cette crise, on avait discuté avec Franck de son utilisation contre la drépanocytose très fréquente en Afrique, il y a 300 000 enfants qui naissent chaque année avec la drépanocytose, des problèmes de coagulation, donc l’idée était sur un projet à 3-4 ans, de voir si on pourrait l’utiliser.

Question : En plus de la presse scientifique, le Washington Post, Bloomberg, ont publié sur les aspects inhabituels du COVID‑19 : de jeunes adultes mourrant de crises cardiaques, et ce phénomène de coagulation, et la semaine dernière, la mortalité très élevée des patients mis sous respirateurs : 88% de morts !

Laurent Lantieri :
Oui ! En Chine la mortalité est de 40 à 50%, en Italie environ la même chose, et en France environ 40%.
Cette mortalité très élevée dans le syndrome SDRA, même parmi de jeunes patients, est rare. Alors les gens se posent des questions, comment ce fait-il que la mortalité atteigne 88% aux US ?
Aux USA, il y a des niveaux de co-morbidités très élevés comme l’obésité, ce qui pose deux difficultés dans les cas de SDRA sévères : le patient qui est obèse doit être mis sur le ventre pour maximiser le fonctionnement des poumons. Et là il faut 4 à 5 soignants pour le faire et l’intuber, et parfois c’est impossible ! Ensuite l’autre difficulté rapportée dans la presse scientifique : la désaturation du sang va plus vite chez ces patients là. Alors ceux-ci sont plus vulnérables.

Question : Le virus induisant la formation de mini-caillots pourrait-il être à l’origine de l’insuffisance respiratoire ?

Laurent Lantieri :
Il y a beaucoup d’hypothèses. Au début la première hypothèse a été que c’était uniquement un problème ventilatoire, et un problème standard de SDRA aiguë, le virus se fixant sur les cellules humaines à travers le récepteur ACE2 (enzyme de conversion de l’angiotensine II), et ces récepteurs sont très nombreux dans les capillaires au niveau des alvéoles pulmonaires. et puis on a vu ces patients qui désaturaient violemment et donc on a pensé à une micro-thrombose.
Mes collègues de l’Hôpital Européen Georges Pompidou, ont trouvé que que beaucoup de cellules endothéliales sont relarguées dans le sang, ce qui démontre une atteinte de l’endothélium. Ils n’ont pas pu le publier pour des raisons politiques et une autre équipe a publié les mêmes résultats dans The Lancet.
Donc le COVID‑19 n’est pas seulement une maladie pulmonaire, toute lésion de l’endothélium peut provoquer une coagulation.
Ce qui est un peu plus hypothétique, par contre, c’est de savoir si le virus induit d’autres dommages ?

Il y a eu une publication théorique sur la capacité qu’aurait le virus d’entrer dans le globule rouge, ce qui est possible car il a des récepteurs ACE2, mais le virus ne peut pas s’y reproduire, car le globule rouge n’a pas de noyau. Mais, je le dis au conditionnel : il pourrait se fixer sur l’hémoglobine et ce serait une explication de la dissociation entre clinique et fonction : car il y a des patients qui vont bien avec des troubles dans le test d’oxygénation, ce qu’on appelle le « happy hypoxemia » comme s’ils étaient au sommet d’une montagne.

Serait-ce dû au fait que l’hémoglobine serait altérée, comme dans l’asphyxie au monoxyde de carbone, le fer libéré par l’hémoglobine altérée serait toxique pour les vaisseaux ? Mais là on est dans le théorique.

« plus nous progressons dans la compréhension de la maladie plus on voit que ce n’est pas simplement une maladie localisée aux poumons. La gravité de la maladie est liée au fait que le virus affecte la fonction vasculaire. »

Ce qui est certain c’est que plus nous progressons dans la compréhension de la maladie plus on voit que ce n’est pas simplement une maladie localisée aux poumons. La gravité de la maladie est liée au fait que le virus affecte la fonction vasculaire.

Question : Votre point de vue vient de votre intérêt pour la microcirculation ?

Laurent Lantieri :
Pourquoi est-ce que je m’y intéresse en tant que chirurgien plasticien ?
Parce que la microcirculation : c’est ma spécialité de tous les jours, c’est mon travail dans les greffes. Je fais aussi de la recherche en laboratoire, en collaboration avec Harvard. Comment se comportent les tissus une fois mis en ischémie, et reperfusés, c’est à dire quand il n’y a plus eu d’apport d’oxygène et que nous les avons remis en contact avec la circulation ? Comment se passe la microcirculation à l’intérieur ? Comment perfuser des tissus ? C’est vraiment mon métier.
La microcirculation cutanée et sous cutanée, c’est la spécialité des chirurgiens plasticiens, nous qui faisons des re-implantation de doigts et ce genre de greffes, nous connaissons bien la question.

Question : Vous avez vraiment un point de vu privilégié sur la question ! Or dans une nouvelle situation épidémiologique, il est important d’explorer et sortir des sentiers battus.

Laurent Lantieri :
Il le faut dans ce combat. Il y a des gens qui pensent tout savoir de A à Z et généralement ils se trompent. C’est une pathologie très très nouvelle et parmi les experts, les meilleurs ont trois mois de connaissances.
La France reste un pays où l’innovation est écrasée par la bureaucratie, et là elle est un peu ébranlée, fissurée, par exemple l’utilisation d’imprimantes 3D pour fabriquer des respirateurs, l’utilisation détournée de masques qui au départ étaient faits pour la plongée sous marine, particulièrement efficaces, mais dans d’autres circonstances elle aurait été interdite, car il ne s’agit pas d’un « dispositif médical. »

Un homme génial !

Je pense que Zal est un génie, et on n’a pas encore découvert toutes les possibilités de sa molécule, il a quelque chose d’aussi important que la pénicilline en 1943 !
Franck Zal est un biologiste marin qui a travaillé pendant des années sur les vers marins qu’on trouve en Bretagne, ces vers captent l’oxygène à marée haute, dans l’eau, et vivent sur leur oxygène à marée basse, ils existent depuis 450 millions d’années. Ils ont cette particularité d’avoir un système circulatoire et à l’intérieur ils n’ont pas de globules rouges, contrairement à d’autres animaux marins, ils ont une hémoglobine circulante qui est une molécule beaucoup plus grosse que notre hémoglobine qui capte 40 fois plus d’oxygène que la nôtre (160 molécules au lieu de 4) et qui, en plus, a un gradient particulier, qui capte l’oxygène et le relargue en ischémie, donc quand il n’y a plus d’oxygène. Ils stockent l’oxygène avec cette molécule. Alors, au début, c’était artisanale, l’équipe de Zal piquait le ver avec une petite aiguille dans une veine centrale, si loin de l’humain.
Donc Zal l’a extraite, il l’a congelée, et d’artisanal, il en a fait un produit qui est GMP, arrivé à maturité, il a un stock pour utilisation pour des greffes, c’est 20 ans de travail pour lui.
Alors c’est tellement DISRUPTIF qu’on a du mal à faire admettre ça, car c’est totalement différent, on va l’injecter chez quelqu’un et ce faisant on va améliorer son oxygénation !

C’est totalement disruptif car, jusqu’à présent, vous n’avez pas d’autres moyens de changer l’oxygène dans les tissus, qu’en modifiant la ventilation, et là l’idée c’est de modifier le transport en oxygène.

C’est totalement disruptif car jusqu’à présent, vous n’avez pas d’autres moyens de changer l’oxygène dans les tissus, qu’en modifiant la ventilation, et là l’idée c’est de modifier le transport en oxygène.
Donc ça n’a jamais été fait c’est pour cela que c’est si difficile à accepter alors que toutes les autres approches ont été tentées : les antiviraux, les antibiotiques, même l’utilisation de la chloroquine, c’est déjà connu. Tout a déjà été fait mais cela c’est très différent. Et c’est pour cela que c’est si difficile, une montagne à déplacer pour faire accepter ce principe-là !

Question : L’APHP a bloqué cette initiative pour un essai clinique avec des hôpitaux parisiens ?

Laurent Lantieri :
Le projet n’avançait pas car l’APHP voulait que Franck Zal signe un contrat qui avait deux volets : pour accéder aux données il faudrait payer. Or on proposait OPEN SOURCE, comme le virologue allemand qui a donné ses droits aux tests, car on en a tellement besoin !
Et Franck Zal était d’accord, Open Source, de toute façon la molécule est brevetée.
Non, l’APHP voulait faire payer. C’était la première partie difficile du contrat, et pour l’autre partie, l’APHP voulait un droit de veto sur tout changement dans la gestion de sa société, Hemarina.
Et c’est pour ça que le contrat n’avançait pas. Ils ont trouvé le prétexte pour arrêter l’essai de façon assez violente, par voie de presse.
Dans la recherche on a des produits divers dit « produits de développement » qui marchent ou ne marchent pas jusqu’à arracher une GMP.
Il n’y a jamais eu de problèmes avec les GMP d’Hemarina. Le produit est optimal pour les greffes.

Donc on continue de répondre sur de multiples questions à l’ANSM : sur l’immunologie, les problèmes de sécurité pour pouvoir faire repartir le projet. Sachant que c’est tellement disruptif, on comprend qu’une agence de sécurité veuille avoir toutes les garanties pour un produit injectable à l’homme.
Il y a quelques jours l’ANSM nous a envoyé un courrier très rassurant expliquant que les données fournies ne changeaient pas leur évaluation initiale positive du projet et que si l’APHP ne s’était pas retirée nous aurions pu continuer. Nous allons donc aller de l’avant avec d’autres partenaires.

Question : Avez-vous envisagé des essais hors de France ? Y-a-t-il assez de produit ?

Laurent Lantieri :
Oui il y a des quantités suffisantes, car un nouvel essai portant sur la greffe de rein pour résoudre les problèmes médicaux économiques était prévu sur 600 patients.
L’Inde était très intéressée à avoir ces produits pour les transplantations, j’ai des contacts internationaux qui voulaient ces produits pour les greffes de mains et du visage et les transplantations de reins et de foies, et des négociations sont en cours.
Donc environ 15 000 doses pour 5 000 patients. Produire plus ? Il faut voir ce qu’on peut faire avec la ferme des vers mais en tout cas ce serait plus facile que produire des anticorps humanisés anti Interleukine 6 qui sont extrêmement complexes à produire ou même du plasma de patients immunisés et je vois pas comment nous allons, en France, réussir à le faire avec les dizaines de milliers de patients hospitalisés en état grave.

Question : Est ce qu’une production massive serait envisageable, accessible pour les pays en développement ?

Laurent Lantieri :
La ferme marine de Noirmoutier, normée, ISO, produit des vers, et donc une production de masse serait possible, ce qui n’est pas le cas pour tout ce qui concerne les nouvelles technologies médicales qui sont extrêmement complexes, donc très onéreuses à mettre en place.
En fait c’est plus que de l’hémoglobine de vers marins, car quand vous avez de l’hémoglobine d’un mammifère, qui est dans un globule rouge, il faut aussi d’autres facteurs pour faire fonctionner l’hémoglobine.
La superoxide dismutase, et d’autres cofacteurs, or la molécule de vers marin est comme un mini globule rouge, contenant tous ces facteurs, et elle est aussi 250 fois plus petite qu’un globule rouge chez l’homme donc elle peut aller beaucoup plus loin et diffuser plus facilement.

“je pense qu’il s’agit d’une découverte aussi importante que la pénicilline !”

Question : Quelles sont les particularité de cette molécule oxygénante ?

Laurent Lantieri :
Je suis convaincu que cette découverte est aussi importante que la pénicilline.
On a toujours appris que toute protéine est immunogène, celle-là ne l’est pas.

La raison en est que en fait la conformation de l’hémoglobine en tant que telle est quelque chose qu’on retrouve dans toutes les espèces animales, c’est très conservé à travers le règne animal, et il y a des hémoglobines qui sont immunogènes parce qu’elles ont des radicaux glycosylés et celle-là elle n’en a pas.

J’ai posé la question à Franck : Est ce qu’il y a d’autres vers marins ? Oui, m’a-t-il répondu, il y a trois autres vers marins qui, potentiellement, peuvent avoir les mêmes activités mais la plupart ont des récepteurs glycosylés qui font qu’ils deviennent immunogènes et celui-là n’en a pas.
Donc effectivement c’est très conservé dans tout le règne animal et végétal d’ailleurs ça remonte à extrêmement loin dans la vie sur terre puisque pour la création de la vie il faut transporter oxygène depuis la plante jusqu’à nous ! Mais c’est très difficile conceptuellement de faire comprendre ça à mes collègues médecins. On a tous appris que chaque fois qu’on injecte une protéine quelque part, on a des anticorps.

On a autant de difficultés à convaincre qu’en son temps Helicobacter pylori était la source des ulcères digestifs. Hors de la pensée commune, totalement différent.
Vous savez dans le monde pour qu’une nouvelle idée perce, il faut qu’il ait de plus en plus de gens qui la connaissent parce que bien-sûr, aujourd’hui il y a ceux qui y croient et ceux qui doutent, mais plus les gens approchent la molécule et comprennent ses possibilités, voient les travaux accomplis jusqu’à présent, et plus ils sont convaincus…

Il faut atteindre une masse critique de gens qui soient au courant pour que ça se fasse !

Question : Et cette approche serait intéressante pour d’autres pathologies du sang, la drépanocytose ?

Laurent Lantieri :
Oui, avant cette crise, on avait discuté avec Franck de son utilisation contre la drépanocytose très fréquente en Afrique, il y a 300 000 enfants qui naissent chaque année avec la drépanocytose, des problèmes de coagulation, donc l’idée était sur un projet à 3-4 ans, de voir si on pourrait l’utiliser.
lu dans
AMR-TIMES Nouvelle édition AMR & COVID-19

Rappel : article du LIEN du 6 avril sur la piste des vascularites
http://lelien-association.fr/asso/?…

Claude Rambaud

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